LE SERVICE DES RAPATRIEMENTS

Identifier
d_4
Language of Description
French
Alt. Identifiers
  • F/60/1625-F/60/1637
Source
EHRI Partner

Scope and Content

I. - L'article 19 de la Convention d'armistice et les questions soulevées par son application.

L'article 19 de la Convention franco-allemande d'armistice du 22 juin 1940 prévoyait non seulement la remise immédiate aux troupes allemandes des prisonniers de guerre faits par les troupes françaises, mais aussi celle des "prisonniers civils allemands y compris les prévenus et condamnés ... pour actes commis en faveur du Reich Allemand" Plus encore, le gouvernement français était également tenu de livrer, sur leur demande, aux autorités du Reich "tous les ressortissants Allemands désignés nominativement par le Gouvernement du Reich" (alinéa 2) .

Ces exigences qui allaient directement à l'encontre du droit d'asile traditionnellement pratiqué en France soulevèrent les protestations du Gouvernement français qui demanda la suppression de l'article en question. Le maréchal Keitel refusa d'apporter la moindre modification au libellé de l'article 19, mais consentit à spécifier dans une déclaration orale (22 juin 1940), que, dans la pratique, l'Allemagne se bornerait "à demander la livraison des incitateurs à la guerre de nationalité allemande"

En dépit de ces assurances, il devint rapidement évident que la C.A.A. était décidée à interpréter à son gré les clauses de l'article 19. Elle entreprit de réclamer, de rapatrier ou de contrôler, bon gré mal gré, tous les sujets allemands qui se trouvaient sous la juridiction française : soldats servant dans la Légion étrangère, internés, détenus de droit commun, etc... Elle étendit son droit de regard et de réclamation à de nombreux individus qui se réclamaient plus ou moins d'attaches avec l'Allemagne et ceci avec d'autant plus de facilité que la C.A.A. avait adoptés, dans ses notes aux autorités françaises une terminologie éminemment flottante. Suivant les cas et les besoins on parlait de sujets ou ressortissants allemands, d'Allemands du Reich, d'Allemands de naissance, d'Allemands de race, de membres de la communauté allemande. Lorsque par hasard les autorités allemandes voulaient intervenir en faveur d'une personne qui ne pouvait entrer dans aucune des catégories précédentes, si mouvantes qu'elles fussent, elles agissaient à découvert.

On en arriva très vite à une extension sans limite des termes de l'article 19. Après avoir résisté, tant bien que mal, aux exigences allemandes, les représentants français en vinrent à soumettre à leurs collègues allemands par ce biais toutes les questions concernant le rapatriement des ressortissants étrangers qui, résidant en France ou dans des territoires d'outre-mer, désiraient regagner leur pays d'origine occupé par le Reich. De même la demande et la transmission de renseignements et de nouvelles sur des ressortissants de toutes nationalités devint chose courante.

En résumé les clauses de l'article 19 qui semblaient devoir concerner quelques rares catégories de sujets allemands finirent par s'étendre à tous les ressortissants allemands ou étrangers appartenant aux catégories suivantes : soldats de la légion étrangère, groupes de travailleurs étrangers (G.T.E.), internés, détenus, réfugiés, déserteurs.

II. - Les organismes chargés de l'application de l'article 19.

  1. La Délégation Française auprès de la Commission Allemande d'Armistice (D.F.C.A.A.) (24 juin 1940 - 25 février 1942).
  • Les questions de livraison et de rapatriement ayant été réglées par la Convention d'armistice, l'application de l'article 19 fut confiée tout naturellement aux commissions d'armistice des deux pays. Dans le cadre de ces commissions, les questions de rapatriement furent débattues entre les représentants du ministère allemand des affaires étrangères et leurs collègues français groupés en sous-commission "Affaires politiques". Très rapidement le spécialiste des questions de rapatriement devint M. Chassaing de Bourdeille vice-consul de France qui resta à Wiesbaden jusqu'au début de juin 1941, date à laquelle, devenu chef-adjoint du cabinet de M. Benoist-Méchin, il fut remplacé dans ses fonctions à la sous-commission par son collègue M. Schaffhauser, également vice-consul de France.

Du côté allemand la Commission d'armistice avait en outre pris soin d'envoyer dans les territoires non occupés et en Afrique du Nord des commissions de contrôle itinérantes (Commission Kundt) et des délégués au rapatriement installés en permanence à Lyon, Marseille, Clermont, Toulouse, Alger et Casablanca.

  1. Les autorités civiles de Vichy (25 février 1942- 15 août 1944).

On a vu comment les questions relatives au rapatriement n'avaient pas tardé à déborder largement le cadre prévu par les clauses de l'armistice. Dès le mois d'octobre 1941, au cours de leurs entretiens à Paris, Otto Abetz et l'Amiral Darlan avaient envisagé le rétablissement des relations consulaires entre les deux pays et le transfert aux consuls allemands des questions concernant le rapatriement des civils

Le 25 février 1942, le transfert s'opéra du côté allemands Les attributions de la Commission Allemande d'Armistice passèrent à la section consulaire de l'Ambassade d'Allemagne à Paris. Les fonctions des délégués au rapatriement de Vichy, Marseille, Alger et Casablanca furent confiées aux consuls alors nommés dans ces villes. Les délégués au rapatriement de Lyon, Clermont et Toulouse furent maintenus, mais avec subordination aux consuls allemands résidant respectivement à Vichy et Marseille

Du côté français certaines réserves retardèrent le transfert jusqu'au 1er avril. A cette date le service du rapatriement qui était géré au sein de la sous-commission politique de la D.F.C.A.A. par M. Schaffhauser, vice-consul de France , passa à l'Hôtel Matignon, à Paris, sous l'autorité de M. Benoist-Méchin, secrétaire d'état auprès du chef du Gouvernement qui désigna son chef adjoint de cabinet, M. Chassaing de Bourdeille pour traiter spécialement ces questions de rapatriement.

Quelques semaines après, la C.A.A., qui avait semblé vouloir se réserver les questions proprement militaires (légionnaires et déserteurs) procéda au transfert à Paris des questions relatives aux légionnaires (1er mai 1942). Les services de M. Benoist-Méchin en furent parallèlement chargés du côté français .

Après le départ de M. Benoist-Méchin du Gouvernement, (26 septembre 1942), le service des rapatriements, tout en restant géré à l'Hôtel Matignon par M. de Bourdeille, passa sous l'autorité de M. de Brinon, lui aussi secrétaire général auprès du chef du gouvernement et délégué général du gouvernement français dans les territoires occupés. La dernière vicissitude du service fut son transfert de l'Hôtel Matignon aux bâtiments de la D.G.T.O. situés 11, rue Cambacérès (18 février 1943) où il fonctionna jusqu'au milieu d'août 1944.

III. - Les archives du service des rapatriements.

On a vu comment les questions de rapatriement prévues par l'article 19 de la Convention d'armistice étaient traités par un service fonctionnant au sein de la sous-commission politique de la Délégation française. Les archives de ce service restèrent groupés et intactes jusqu'en février 1942.

A ce moment l'Allemagne demanda le transfert à Paris des questions relatives aux civils de toutes catégories. En prévision de ce transfert, la sous-commission "affaires politiques" renvoya au ministère des Affaires étrangères, à Vichy, une grande partie de ses archives, ne concernant que celles qui étaient relatives à des affaires concernant des militaires ou certains principes d'application de l'article 19 . Le ministère ne tarda guère à envoyer les archives qu'il avait reçues au nouveau service des rapatriements installé à l'Hôtel Matignon. Le 6 mai la sous-commission "affaires politiques" opéra, directement à Paris cette fois, le versement de ses archives concernant les légionnaires, parallèlement au transfert de ces affaires au service de Paris . Ces deux versements et les papiers issus du fonctionnement du nouveau service constituent les archives du service des rapatriements retrouvés à la D.G.T.O. où elles étaient conservées depuis le dernier transfert du service, en date du 18 février 1943.

Une étude des questions relatives à l'application de l'article 19 de la Convention d'Armistice ne saurait cependant être complète sans un dépouillement des archives de la sous-commission "affaires politiques" de la D.F.C.A.A., et en particulier des dossiers 155 et 156 consacrés à l'application de l'article 19. On y trouve essentiellement deux séries de papiers :

  1. De nombreux documents relatifs aux questions de principe posées par l'application de l'article 19. Ces documents complètent ceux qui sont conservés dans les archives de la D.G.T.O. dossier 54 a et b, surtout pour la période des premiers mois ayant suivi la signature de l'armistice.

  2. Tous les dossiers, soit de caractère général, soit individuels relatifs aux déserteurs de l'armée allemande (sauf quelques cas isolés qui figurent aux archives de la D.G.T.O.) (dossiers 55 c et 56 a et b).

C'est donc par une étude concordante des archives de la D.G.T.O. et des archives de la D.F.C.A.A. qu'on peut arriver à saisir de façon à peu près complète les problèmes complexes qui se sont posés quotidiennement aux autorités françaises quant à l'application des clauses de l'article 19, que ce soit sur le terrain des principes juridiques ou sur celui des cas particuliers.

D. Ozanam.

APPENDICE I

Convention d'Armistice

Article 19

(alinéa 1) Tous les prisonniers de guerre et prisonniers civils allemands y compris les prévenus et condamnés qui ont été arrêtés et condamnés pour actes commis en faveur du Reich allemand doivent être livrés sans délai aux troupes allemandes.

(alinéa 2) Le Gouvernement français est tenu de livrer sur demande tous les ressortissants allemands désignés nominativement par le Gouvernement du Reich et qui se trouvent en France de même que dans les possessions et les colonies françaises, les protectorats et les territoires sous mandat.

(alinéa 3) Le Gouvernement français s'engage à empêcher le transfert de prisonniers de guerre eu de prisonniers civils allemands de France dans les possessions françaises ou à l'étranger. En ce qui concerne les prisonniers déjà transférés hors de France de même que les prisonniers de guerre allemands, malades ou blessés non transportables, des listes précises seront fournies portant l'indication de l'endroit où ils se trouvent. Le Haut-Commandement allemand assumera le contrôle des prisonniers de guerre allemands malades ou blessés.

APPENDICE II

Extrait du procès-verbal de la réunion plénière tenue à Rethondes le 22 juin 1940, à 10 heures.

ARTICLE 19.-

Le Général HUNTZIGER : Le gouvernement français considère la clause de livraison de tous les ressortissants allemands désignés par le gouvernement du Reich comme contraire à l'honneur en raison des règles traditionnelles du droit d'asile. Il en demande donc la suppression.

Le général KEITEL : Je ne suis pas disposé à accepter la suppression de cet alinéa ni à rappeler les circonstances qui, en 1918, ont si profondément humilié le corps des officiers de l'armée allemande. L'armée et la nation allemandes considèrent les émigrés allemands comme les plus grands incitateurs à la guerre et à la haine et comme des traîtres à leur propre nation. C'est pourquoi nous insistons pour qu'ils soient livrés à la demande de l'Allemagne. Mais je déclare que, dans la pratique, nous nous bornerons à demander la livraison des incitateurs à la guerre de nationalité allemande.

Le général HUNTZIGER : Je prends acte de cette déclaration et transmettrai cette réponse au gouvernement français.

Note(s)

  • Voir à appendice I le texte de l'art. 19

  • Voir à appendice II le texte de la déclaration Keitel.

  • Lettre d'Abetz à Darlan du 22 octobre 1941.

  • Lettre du président de la C.A.A. au président de la D.F.C.A.A., en date du 14 février 1942 (Réf. : VAAP 192).

  • Voir notes de l'Ambassade d'Allemagne à M. Benoist-Méchin des 18 février (n° 1658/42) et 17 mars 1942 (n° 1658/42/II) et notes de M. Benoist-Méchin à l'Ambassade d'Allemagne du 23 février (VP BM)207) et à l'Amiral Darlan du 16 mars (VPBM 270) et du 2 avril 1942 (VPBM 317).

  • Les questions de rapatriement furent traitées à Wiesbaden à la sous-commission des affaires politiques par M. Henri Chassaing de Bourdeille, vice-consul de France, jusqu'en juin 1941 -Lorsqu'à cette date M. de Bourdeille fut nommé chef-adjoint du cabinet de M. Benoist-Méchin, il fut remplacé au sein de la sous-commission et à la tête du service des rapatriements par son collègue M. Schaffhauser, également vice-consul de France. Au moment du transfert à Paris de la plupart des questions de rapatriement (1er avril 1942), M. Schaffhauser vint prendre en charge le service à l'Hôtel Matignon sous la direction de son prédécesseur, M. de Bourdeille, tout en restant chargé en principe de régler les affaires relatives aux légionnaires qui étaient encore à ce moment du ressort de Wiesbaden. Lorsqu'à leur tour ces affaires passèrent à Paris, M. Schaffhauser s'y fixa définitivement (mai 1942).

  • Jacques Benoist-Méchin : Secrétaire-général adjoint à l'administration (23 février 1941), secrétaire d'Etat à la Vice-présidence du conseil (9 juin 1941), Secrétaire d'Etat auprès du chef du gouvernement (18 avril 1942), démissionnaire le 26 septembre 1942.

  • Voir à ce sujet dans les dossiers D.G.T.O. les notes de l'Ambassade d'Allemagne à M. Benoist-Méchin des 18 février (n° 1658/42) et 20 avril (n° 1658/42/III) de la C.A.A. à la D.F.C.A.A. du 10 avril (VAAR 2774) -de la D.F.C.A.A. à la D.S.A. du 12 avril (AE/35038) - de Benoist-Méchin à la D.S.A. du 25 avril (VPBM 359) - de la D.F.C.A.A. à la C.A.A. du 1er mai 1942 AE/35812.

  • Note de M. de Brinon au chef du Gouvernement du 18 février 1943 (S.R. n° 766).

  • Les seuls textes relatifs à ce transfert d'archives qui se trouvent dans les archives de la D.G.T. O. sont : une note de M. Benoist-Méchin au ministre secrétaire d'Etat à la Défense Nationale en date du 2 avril 1942 (VPBM 317) et la réponse du dit ministre, en date du 9 avril (8932.D.S.A./7).

  • Note du représentant du Ministre des Affaires étrangères, membre de la D.F.C.A.A. au secrétariat d'Etat auprès du chef du gouvernement, en date du 3 mai 1942 (AE/35899).

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